Le début de l’année 2024 est placé sous le signe des tensions internationales. Les foyers de crise se multiplient et portent en eux des risques d’engrenage ou d’extension. Une telle période invite à la réflexion : comment agir tout en adaptant l’armée de terre aux missions de demain ? En tant que chef d’état-major de l’armée de terre, mon objectif est que la puissance démontrée par nos forces infléchisse les tendances, contribue à dénouer des conflits et crée des solidarités, qu’elle dissuade les attaques contre la France, sa population, son territoire et ses intérêts.
Regardons le monde de manière clinique. Plusieurs décennies de paix, émaillées de déploiements limités de corps expéditionnaires dans des missions de gestion de crise, ont conduit les sociétés occidentales à sous-estimer la réalité des rapports de force et des volontés de puissance. Les guerres qui se déroulent sous nos yeux nous poussent à nous interroger sur l’espoir qui était aussi une ambition portée depuis la fin de la guerre froide : marginaliser la guerre jusqu’à la rendre illégale ; focaliser les armées sur la gestion de crise ; écarter la violence. Le projet d’un ordre mondial reposant sur la souveraineté des Etats, le droit international et le règlement des différends par la négociation est présenté comme contingent et occidental, voire battu en brèche. A rebours des aspirations pacifiques des pays européens, les conflits qui s’installent aux marches de notre continent témoignent moins du retour de la guerre que de sa permanence comme mode assumé de résolution des conflits. C’est un constat qu’il faut partager avec nos concitoyens.
Analyser les conflits est riche d’enseignements. Sur le terrain, le retour de la violence guerrière s’impose en miroir de l’affaiblissement des règles internationales. Cette violence guerrière mute avec le développement technologique. Le fantasme d’un combat moderne, mené intégralement à distance grâce aux nouvelles technologies, s’est dissipé. Les nouvelles formes de conflictualité s’ajoutent aux anciennes sans les remplacer : la guerre électronique n’est pas exclusive de corps-à-corps dans les tranchées ; les attaques cyber de duels d’artillerie ; les manipulations informationnelles de combats urbains maison par maison ; les missiles hypervéloces de frappes de drones à bas coût.
Changement d’échelle
Les conflits actuels amènent à reconsidérer la notion de volume de force. Le temps où l’on pouvait infléchir le cours de l’histoire avec trois cents soldats est révolu. Il n’y a plus de « petites guerres » tant l’accès à certaines technologies de pointe s’est démocratisé : les milices houthistes, appuyées par l’Iran, en donnent un exemple en contestant la libre circulation en mer Rouge avec des missiles antinavires de haute technologie.
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